Le triangle mégalopolitain mondial Carte de l'archipel mégalopolitain mondial
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Le réseau des mégalopoles au cœur de la mondialisationC'est
Olivier Dollfus qui proposa en 1996 la première théorisation rigoureuse
de l'AMM. " Il y a aussi d'autres divisions entre les lieux, entre les lieux qui commandent, ceux qui s'adaptent, ceux qui sont largués et ceux qui sont isolés. Les lieux qui commandent, c'est "I'archipel mégalopolitain mondial", un ensemble d'îles, d'archipels (un archipel constitué de plusieurs archipels), d'agglomérations, de lieux qui ont su se placer comme des pôles directeurs dans la mondialisation et qui ont des échanges très intenses entre eux, qui sont à la fois solidaires entre eux et en concurrence. La première des mégalopoles et la plus complète, c'est la mégalopole de la côte N.E. américaine (de Boston à Washington) à laquelle on ajoute les grands lacs (Chicago, Toronto, Détroit) et la Californie et Seattle. Les autres mégalopoles, moins complètes que les premières, sont l'arc européen de Rome à Londres et la mégalopole japonaise avec les grandes îles de l'Est asiatique. Dans ces "centres" se regroupe l'essentiel des populations mondialisées. L'aire d'approvisionnement et de commandement de ces archipels, c'est le monde, avec cependant des fuseaux préférentiels pour chaque archipel (fuseau américain, fuseau eurafricain et fuseau asiatique). Ces lieux qui émergent n'ont pas été créés par la mondialisation, mais, par suite de la mondialisation, ils acquièrent une valeur renforcée. " Dollfus L'AMM ne se réduit pas à un ensemble de métropoles créatrices d'activités, de richesse et d'innovations, même juxtaposées ou reliées entre elles. En effet, les notions de territoire et de distance tendent à s'effacer devant le réseau dont le principe de fonctionnement est la connexité et non plus la continuité. Dès lors, les villes de l'AMM ne doivent plus être considérées comme des centres qui polarisent des territoires nationaux dans un modèle centre-périphérie, elles ne forment donc plus un réseau de centres, mais au contraire des pôles qui fonctionnent en réseaux. L'AMM " … n'est pas un lieu mais un processus par lequel les centres de production et de consommation des services avancés, ainsi que les sociétés locales qui en dépendent, sont reliés au sein d'un réseau global, tandis que leurs relations avec l'arrière-pays se réduisent simultanément " (Castells M.,1998).
La surconcentration des activités dans les villes est une surprise de taille. En effet, la montée en puissance des moyens de transport et de communication devait permettre, en théorie, un étalement des activités. Si cet étalement s'est bien produit pour certaines activités de production (délocalisations et irruption dans le réseau d'échange mondial des pays à bas salaires), il n'en a pas été de même pour les activités créatrices. Car, pour fonctionner, les activités des services avancés " la finance, l'assurance, l'immobilier, le conseil, l'assistance juridique, la publicité, le design industriel, le marketing, les relations publiques, la sécurité, la recherche d'informations et la gestion des systèmes d'information , mais aussi la recherche, le développement et l'innovation scientifique… " (Castells, 1998) dépendent de ressources qui ne sont ni transférables ni interchangeables. Seuls les lieux qui combinent diversité et complexité sociales sont capables de mener et de reproduire les processus d'interprétation et de mise en forme des connaissances. Ce phénomène est bien illustré par le concept de " ville globale " développé par Saskia Sassen : " la combinaison de la dispersion spatiale et de l'intégration globale confère un rôle stratégique nouveau aux grandes métropoles (…)". Propriétés distinctives de la " ville mondiale " Premièrement, plus l'économie s'internationalise et plus les fonctions de contrôle des " grandes firmes s'agglomèrent dans un petit nombre de sites ", niches au coeur des pays les plus avancés, puisque c'est sur ces derniers que l'investissement transnational s'est recentré depuis la fin des accords de Bretton-Woods. Par conséquent, et en second lieu, la " ville mondiale " n'est pas un simple pôle de décision stratégique : c'est aussi " un site de production " très particulier puisque les marchandises qui s'y fabriquent sont les services spécialisés nécessaires aux entreprises multinationales (assurances, droit, comptabilité et fiscalité, publicité et relations publiques) et les nouveaux instruments financiers indispensables au management planétarisé. Ensemble, ces deux secteurs constituent le fer de lance de la nouvelle économie urbaine. Troisième idée-clef, l'apparition des " villes mondiales " " remodèle la hiérarchie urbaine ", nationale et internationale : d'une part, elle accentue le déclin relatif des métropoles secondaires, dépendantes des industries traditionnelles ; d'autre part, loin d'être rivales, ces villes s'inscrivent dans un même réseau planétaire qui transcende les frontières et ronge la souveraineté de leurs Etats respectifs. Enfin, l'ascension de cette nouvelle espèce de métropole se traduit par la " dualisation " de la structure socioprofessionnelle et spatiale de leurs populations, par l'institutionnalisation du marché du travail informel et par l'accroissement corrélatif des inégalités de classe. Ainsi la haute noblesse d'entreprise vivant dans les quartiers huppés en plein boom et le sous-prolétariat des bas quartiers déshérités à forte proportion d'immigrés croissent-ils partout dans une relation symbiotique. "Paradoxalement, la mondialisation et les technologies de l'information favorisent à la fois l'éparpillement géographique des implantations industrielles ou de services et la reconcentration des fonctions centrales de direction des firmes, justement pour gérer le réseau mondial des sites de production et des marchés financiers. Et pour cela, les entreprises doivent avoir dans leur environnement immédiat des services d'un très haut niveau de spécialisation et de performance que toutes les villes ne possèdent pas", explique Saskia Sassen. Mais Sassen dépasse le niveau banal d'une simple nouvelle " hiérarchie urbaine à l'échelle mondiale ". Pour elle, les trois villes du sommet de la hiérarchie (New York, Londres et Tokyo) ont des fonctionnements tellement nouveaux qu'elles changent de nature. Le niveau de déterritorialisation est tel que ces villes fonctionnent en quasi-apesanteur ; et surtout émerge " la possibilité d'un lien systémique autre que la compétition, sorte de système urbain avec des appuis territoriaux ". L'un des enjeux des décennies à venir est sans doute de réconcilier la ville avec son territoire. Car pour "globales" qu'elles soient, ces mégapoles des puissants doivent aussi composer avec les réalités sociales.
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